Francine Foulquier*

Blanc

Au commencement le silence. Dans la salle d’exposition, c’est le blanc laiteux qui apparait, nous attire, dans sa profondeur opaque, dans l’épaisseur de sa matière. 
Lait, « amour inoubliable », du commencement, mais aussi liant, élément autrefois utilisé en préparation des fonds de peinture (fromage, caséine) par les artistes afin que celle-ci ne se détériore pas et perdure de longues années.

Blancs

se dit des silences dans un récit, des mots tus, oubliés, enfouis, impossibles. Quand le silence tombe comme un couperet, il marque l’arrêt dans un récit, le moment où le raconteur souffle, puise ailleurs, dans un autre temps, ou s’essouffle quand se bousculent des images …
La littérature abonde de ces blancs, travail de la langue poétique, trouées de la mémoire. « Je n’ai pas de souvenirs d’enfance (…) je ne sais où se sont brisés les fils qui me rattachent à ma mémoire… » dit Georges Perec.
Absence.

Suspens

Brige Van Egroo tisse des fils blancs, les tricote, les crochète, les peint, elle modèle des formes comme surgies du silence, des cocons, d’étranges mues, des abris organiques. De ces formes évidées, oscillantes au bout d’un fil, surgissent des images muettes. « En suspens » le terme évoque la pause, l’indécision, l’attente, le suspense autant que la suspension. La mise en scène remarquable de délicatesse et d’intelligence de Brige (ici aidée « à la technique » par Philippe Davaine) laisse flotter l’incertitude. Les fragments exposés offrent au regardeur en quête de récit la possibilité de fabriques d’histoires, toutes subjectives.

Crochets et épingles

Les cocons des commencements suspendus à des anciens crochets de boucher dialoguent avec les « Dentelles de l’intangible » ainsi nommées par Brige, broderies tourmentées de cheveux (au crochet), emprisonnées, épinglées dans des boites d’entomologie posées sur des pieds fragiles, un peu comme les longues pattes des carrelets, ces cabanes de pêcheur posées sur l’estuaire de la Gironde. Fin d’un cycle.

Lieux de la conservation et de la transmission

Filets du pêcheur, couffin de Moïse, mues ouvertes aux fils encore dénoués, chacun de ces tissages contient, conserve et transporte, à l’exemple d’une arche, et à ce titre sont porteurs de paroles, garants d’un passage, d’une transmission.

Brige Van Egroo, sur les fils du temps.

*Conseillère culturelle Création littéraire · Val de Marne.Créteil. Elle est membre de la Commission scientifique de l’opération Premières pages (ministère de la Culture et CNAF). Elle est membre de la Commission jeunesse du Centre national du livre.